Qu’en est-il de l’aléatoire en art ?Pour Alain Longuet, l’essentiel se situe dans la création d’algorithmes destinés à fonctionner par eux-mêmes. « L’oeuvre gagne en autonomie, elle n’a plus besoin de son créateur pour s’actualiser et se reproduire. » Affranchies de toute subjectivité, les occurrences (productions audio-visuelles générées par le code) sont traitées sur un pied d’égalité, sans préférences particulières.David Feldman partage ce désir de se distancier du « brouillard de manies personnelles ». Mais il reste fasciné par l’émergence, via le code, d’un langage visuel à part entière. Cela dit, ce qui nous paraît aléatoire peut simplement dépasser notre entendement.Jim Kukula mappe des séquences sonores sur des formes topologiques invisibles, composant ainsi des séquences sonores bien loin de conventions musicales. « Parfois quelque chose de mélodique émerge, mais je ne peux pas prédire quand. Je bidouille le code pour aller dans le sens de la musicalité, mais mes modifications font rarement ce que j’attends d’elles ! » Comme plusieurs autres artistes ici, il fournit un QR Code permettant d’accéder à son travail en ligne.Jean-Pierre Balpe affirme que « les ordinateurs, machines à calcul, ignorent l’aléatoire qui est un programme mathématique spécifique. Dans le domaine de l’écrit, le travail consiste donc à faire produire des textes toujours originaux qui aient l’air le moins aléatoire possible, à partir d’un traitement qui joue sur de constantes bifurcations que leur auteur ne maîtrise pas. » Nous voguons dans des zones de gris : le code détermine la manière dont les contenus échappent à leur auteur….Où réside donc le « sens » ? Ne découle-t-il pas aussi du culturellement codé?L’oeuvre de Mâa Berriet est une parodie abstraite des Shadok ; son code imite le fait main. Les captures d’écran, vidéos, impressions issues d’algorithmes sont aussi une nouvelle matière première à ré-agencer, avec toutes les contingences que cela implique. Bernard Bousquet imprime ses motifs numériques sur de vastes pans de tissu et de cuir, qu’il repeint, coupe, coud et tend sur les murs et plafonds.De même, Ryota Hagihara sélectionne avec soin ses images parmi des centaines de possibilités. Le code sert de levier pour renouveler des traditions picturales établies.Pour Jun Sato, c’est la métaphore du trajet qui prime. Tel un marionnettiste japonais vêtu de noir, plus ou moins visible, le code trace les déplacements incrémentaux de formes géométriques ; on avance pas à pas à travers les variantes.Dans la même lignée, Carol-Ann Braun assemble et imprime sur des pans verticaux des séquences de compositions en évolution constante.Le code : porteur de la fuite en avant ? Certains travaillent directement avec des objets réels. Isabelle Delatouche est tisseuse de vannerie aléatoire : les branchages qu’elle tient entre ses mains façonnent l’oeuvre ; elle y imbrique des capteurs qui déclenchent la lecture aléatoire de fragments de textes. Atsushi Kobayashi, architecte, crée des kits de formes géométriques en carton ; il laisse aux autres la liberté de les assembler comme bon leur semble. Ici l’intention s’ouvre jusqu’à inclure la notion de chaos—sans objectif autre que la recherche de l’inédit.Les dés sont-ils pipés par la prouesse du designer… ?D’autres artistes ici expérimentent la réalité augmentée. Il en émerge différentes approches à la notion de lieu : · Les modélisations animées de Stéphane Trois Carrés et de Juan Sebastian Lopez Galeano se superposent aux espaces de la ville, de la rue, du métro ; le passant les capte sur son téléphone mobile ; la représentation artistique se mêle aux motifs de la vie quotidienne.A l’inverse, Le Duo Parhélie crée sa propre scène, faite de surfaces en verre qui reflètent de manière imprévisible la lumière animée. Tel un vitrail, l’espace virtuel de l’écran est transposé à l’échelle de la galerie tout entière.Peter V. Stevens nous offre in situ et en live une performance improvisée, à partir d’une oeuvre affichée au mur de la galerie. Son interprétation est a priori ouverte, une partition, à performer. Nous voilà donc en plein milieu de l’aléatoire, c’est-à-dire, pour citer Pierre Berger, « tout ce qui nous est proposé sans que nous l’ayons proprement cherché ».Lors de l’exposition, nous organisons plusieurs visioconférences pour approfondir, ensemble, les différentes facettes de cet art numérique en devenir.